On ne va pas se mentir, nous aussi on aime le beau, et ça, ça n'est pas près de changer. Mais le fait est que la logique ne l'emporte pas souvent sur l'émotion et la perception visuelle dans notre processus d'achat. Inutile de chercher des coupables, ce n'est pas du tout l'objet, nous ne pointerons donc du doigt ni le marketing, ni les consommateurs que nous sommes tous. Il ne s'agit pas davantage d'une étude comportementale. L'idée est bête comme chou : avancer quelques menues solutions. Des petits gestes alternatifs en somme.
L'idée n'est pas nouvelle et a émergé du côté de l'alimentaire avec le collectif "gueules cassées", notamment. Depuis lors, les fruits et légumes "moches" ont été quelque peu réhabilités. Mais au delà du marketing à qui l'affaire n'a pas échappé, cette idée mérite d'essaimer bien plus largement, notamment dans le domaine des produits de beauté et d'entretien.
Est-il utile de préciser que la beauté est une notion subjective ? Évidemment non. En revanche, un petit tour d'horizon des arguments de ces produits "moches" trop souvent mis au rebut n'est sans doute pas superflu.
Les moches sont-ils moins qualitatifs ? Évidemment non ! Cela reviendrait à demander si une pomme de terre moche, c'est à dire non-calibrée, a moins de valeur gustative ou nutritionnelle que sa voisine esthétiquement plus conforme à nos standards. Un non-sens.
Que dire du savon de Marseille qui figure ci-contre ? D'emblée on sait qu'il n'est pas esthétiquement parfait, normal puisqu'il s'agit de chutes, nombreuses dans le processus artisanal de conception. On pourrait aussi deviner à sa couleur verte qu'il est à base d'huile d'olive.
Mais qu'il est extra pur 72%, qu'une seule huile, l'huile d'olive est utilisée pour sa conception, qu'il est fabriqué par une entreprise labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), en France, à Marseille, ça, ça ne saute pas aux yeux !
Pourtant c'est bien là le principal, qu'on l'utilise pour les soins du corps ou pour l'entretien de la maison. Et on ne s'apesantira pas sur ses multiples propriétés qui n'ont plus de secret pour personne.
Alors, avant d'acheter un produit, pourquoi ne pas se poser la question non seulement de sa qualité, mais aussi de son usage ? Choisir un cube de savon de Marseille parfait aux arrêtes bien affûtés pour en faire de la lessive maison n'aurait guère plus de sens que de choisir des pommes de terre esthétiquement irréprochables et au calibrage parfait pour en faire de la purée.
Aujourd'hui, et c'est une bonne nouvelle, beaucoup utilisent le savon de Marseille pour la vaisselle ou pour fabriquer une lessive écologique et efficace. Les chutes et les savons moches ont donc de beaux jours devant eux, à condition qu'on y pense !
Ce n'est là qu'un argument des produits d'entretien ou de beauté "moches. Ils sont tout aussi qualitatif et sont conformes à notre usage. Le deuxième ne laisse personne indifférent.
Moins demandés, voire même carrément boudés, quand les producteurs osent les proposer à la vente, les produits d'entretien ou de beauté issus de chutes et jugés "moches" ont un argument de poids : leur prix. A qualité égale, le prix est largement bradé, c'est donc une aubaine pour les consommateurs avertis et responsables. C'est en fait gagnant-gagnant. Le client achète nettement moins cher, mais par ailleurs, le producteur valorise ses produits habituellement mis au rebut.
Aaaaahh le gaspillage, ce fléau si difficile à endiguer. Évidemment on pense d'emblée au gaspillage alimentaire colossal et souvent chiffré. Malheureusement, il s'étend a toutes sortes de produits du quotidien. Les produits non-calibrés et considérés comme non-achalandables, ont souvent la même issue funeste : la poubelle. Triste sort pour des matières premières de qualités et des produits tout à fait consommables.
Ce n'est pas parce qu'ils sont biodégradables que le gaspillage des produits ne doit pas nous émouvoir. Mais l'émotion n'étant pas la solution, il faut passer à l'action.
Se tourner vers les produits "moches" du quotidien, c'est une façon concrète de lutter contre le gaspillage du produit lui-même, mais aussi de l'énergie nécessaire à sa fabrication, voire à sa transformation ou pire à sa destruction. C'est faire grand cas de matières premières qui méritent bien mieux que la poubelle.
L'exemple du charbon binchotan est éloquent. Le charbon, c'est d'abord du bois. Vous avez déjà vu des branches rectilignes, sans noeuds, au diamètre parfaitement régulier ? Il n'empèche que dans nos carafes, et sur les stands de nos boutiques, parfois mêmes celles qui se disent les plus éthiques, on ne voit que de merveilleux sticks aux proportions photogéniques. Un peu aberrant, mais tellement courant...
Et que deviennent les morceaux non-calibrés ? Que dire de l'énergie utilisée pour standardiser un produit pourtant naturel, et pour l'emballer dans des boites aux proportions étudiées et géométriques ?
Il faut y penser, c'est vrai, mais on peut choisir de se le procurer en vrac et non-calibré.
Sans blague, ils ne sont pas moches, ils sont naturels, autant dire qu'ils sont les bienvenus dans notre quotidien et même dans nos carafes si le coeur nous en dit.
Valoriser les produits que les producteurs ne peuvent pas vendre au juste prix, c'est aussi les soutenir dans leur activité. Un soutien pécuniaire certes, mais pas seulement. Acheter leurs produits c'est une marque de considération, de reconnaissance pour leur savoir-faire et sa valeur ajoutée.
Faute de demande, les producteurs stockent à perte ou détruisent leurs invendus, périssables ou non.
Les sticks de charbon binchotan non-calibrés par exemple sont fabriqués à la main par un artisan garant d'un savoir-faire ancestral qui maîtrise la carbonisation et l'activation naturelle du charbon. Renoncer au diktat esthétique c'est soutenir ces petits producteurs qui partagent un patrimoine à préserver.
"La beauté est dans les yeux de celui qui regarde" dixit Oscar Wilde. Et si la logique prenait un peu plus le pas sur l'esthétique en matière de soins, d'entretien et de cosmétique ?
Les solutions existent, à chacun de choisir librement de les adopter, à son rythme et à sa convenance.
Mais qu'il serait beau d'adopter un regard neuf sur des produits naturels, authentiques et écologiques, qu'importe leur esthétique !
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